- Version
- Télécharger 0
- Taille du fichier 12.00 KB
- Nombre de fichiers 1
- Date de création 19 juin 2023
- Dernière mise à jour 20 juin 2024
DECISION N°C-006/19 DU 24 AVRIL 2019
AFFAIRE : Exception d’inconstitutionnalité(Ministère public, mesdames Marie-Thérèse BLONDEL et Joëlle BORDENEUVE et l’ONG MOND’ACTION c/ Togo Tribune etmonsieur Jean LEGRAND de Togo Tribune)
DECISION N°C-006/19 DU 24 AVRIL 2019
« AU NOM DU PEUPLE TOGOLAIS »
LA COUR CONSTITUTIONNELLE,
Par lettre en date du 18 mars 2019, enregistrée au greffe de la Cour le 05 avril 2019 sous le N° 014-G, le président du tribunal de première instance de première classe de Lomé, en application de l’article 104, alinéa 6 de la Constitution,demande à la Cour de se prononcer sur l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par maître ATTOH MENSAH, conseil du prévenu monsieur Jean LEGRAND de Togo Tribune,dans l’affaire Ministère public, mesdames Marie-Thérèse BLONDEL, Joëlle BORDENEUVE et l’ONG MOND’ACTION contre Togo Tribune et monsieur Jean LEGRAND;
Vu la Constitution du 14 octobre 1992 en son article 104;
Vu la loi organique N°2004-04 du 1er mars 2004 sur la Cour Constitutionnelle ;
Vu le règlement intérieur de la Cour, adopté le 15 février 2014 ;
Vu l’ordonnance N°010/2019/CC-P du 07 avril 2019 du Président de la Cour portant désignation de rapporteur ;
Vu les pièces du dossier ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Considérant que l’article 104, alinéa 6 de la Constitution énonce expressément que : « Au cours d’une instance judiciaire, toute personne physique ou morale peut ‘in liminelitis’ devant les cours et tribunaux, soulever l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi. Dans ce cas, la juridiction sursoit à statuer et saisit la Cour Constitutionnelle » ;
Considérant que l’exception d’inconstitutionnalité est la possibilité pour un justiciable, à l'occasion d'un procès devant une juridiction, d'invoquerlanon-conformité à laConstitution d'une disposition légale ;
Que la requête du président du tribunal de première instance de première classe de Lomé est recevable ;
Considérant que dans l’affaire Ministère public, mesdames Marie-Thérèse BLONDEL, Joëlle BORDENEUVE et l’ONG MOND’ACTION contre Togo Tribune et monsieur Jean LEGRAND, maître ATTOH MENSAH, conseil du prévenu a, dans ses conclusions exceptionnelles en date du 19 février 2018, soulevé l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 290 de la loi N° 2015-010 du 24 novembre 2015 portant nouveau code pénal, modifiée par la loi N° 2016-027 du 11 octobre 2016 ;
Considérant que le conseil du prévenu relève dans ses conclusions que : « la Constitution togolaise du 14 octobre 1992 garantit la liberté d’expression et d’opinion en ses articles 25 et 26. Pour garantir l’exercice de cette liberté, le Togo s’est doté de la loi N°98-004 du 11 février 1998 modifiée par la loi N° 2002-026 du 25 septembre 2002 modifiée par la loi N°2004-015 du 27 août 2004 portant code de la presse et de la communication. Pour assurer la protection de la liberté d’expression, le code de la presse et de la communication a dépénalisé les délits de presse exprimant ainsi la volonté clairement affirmée du législateur de garantir l’exercice de la liberté d’expression conformément aux dispositions pertinentes des articles 25 et 26 de la Constitution. Curieusement la loi N° 2015-010 du 24 novembre 2015 portant nouveau code pénal, modifiée par la N° 2016-027 du 11 octobre 2016 en son article 290, prévoit encore des peines d’emprisonnement pour le délit d’atteinte à l’honneur. Il parait donc clairement que les dispositions de ce texte du nouveau code pénal sont contraires à la Constitution togolaise du 14 octobre 1992. » ;
Considérant que l’article 290 du code pénal en vigueur dispose que : « Toute personne qui, publiquement, par quelque procédé de communication que ce soit, impute à autrui un fait de nature à porter atteinte à son honneur et à sa réputation, commet une infraction de diffamation et est punie d'une peine d'emprisonnement d'un (01) à six (06) mois avec sursis et d'une amende de cinq cent mille (500.000) à deux millions (2.000.000) de francs CFA ou de l'une de ces deux peines. » ;
Considérant qu’il ressort de l’argumentaire du conseil du prévenu que l’article 290 de la loi N° 2015-010 du 24 novembre 2015 portant nouveau code pénal, modifiée par la loi N° 2016-027 du 11 octobre 2016, en prévoyant des peines d’emprisonnement pour le délit d’atteinte à l’honneur, contrairement à la loi N°98 -004 du 11 février 1998, modifiée par la loi N° 2002-026 du 25 septembre 2002, modifiée par la loi N°2004-015 du 27 août 2004 portant code de la presse et de la communication qui l’a, elle, dépénalisé, ne serait pas conforme à la Constitution notamment en ses articles 25 et 26 ;
Considérant que la constitutionnalité de l’un ou l’autre des deux textes ne résulte pas de la contradiction entre le domaine d'application qu’ils réglementent ;
Considérant que l’article 25, al. 1 de la Constitution dispose que « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion et d’expression. L’exercice de ces droits et libertés se fait dans le respect des libertés d’autrui, de l’ordre public et des normes établies par les lois et règlements» : qu’en outre, l’article 26, al.1 dispose que « la liberté de presse est reconnue et garantie par l’Etat. Elle est protégée par la loi »;
Considérant que la garantie que l’Etat apporte à la liberté de la presse et sa protection par la loi justifient l’adoption par le législateur de la loi N°98-004 du 11 février 1998, modifiée par la loi N° 2002-026 du 25 septembre 2002, modifiée par la loi N°2004-015 du 27 août 2004 portant code de la presse et de la communication ;
Que c’est ce qui explique la coexistence de la loi N°2015- 010 du 24 novembre 2015 portant nouveau code pénal,modifiée par la loi N°2016-027 du 11 octobre 2016, notamment en son article 290 et la loi N° 2002-026 du 25 septembre 2002, modifiée par la loi N°2004-15 du 27 août 2004, qui bien que réglementant la même infraction ont adopté une politique pénale différente ;
Qu’ainsi, l’article 290de la loi N°2015- 010 du 24 novembre 2015 portant nouveau code pénal, modifiée par la loi N°2016-027 du 11 octobre 2016 est conforme à la Constitution notamment en son article 25, alinéa 1 ;
Considérant toutefois que, la loi N°2015-010 du 24 novembre 2015 portant nouveau code pénal, modifiée par la N° 2016-027 du 11 octobre 2016, notamment en son article 290, est une loi générale alors que la loi N° 2002-026 du 25 septembre 2002, modifiée par la loi N°2004-015 du 27 août 2004 portant code de la presse et de la communication est une loi spéciale ;
Qu’il est de principe que les lois spéciales doivent être interprétées strictement, de façon à ne pas en étendre la portée au-delà du domaine dans lequel les textes qui les prévoient les ont cantonnées;
Qu’en cas de conflit entre une loi générale et une loi spéciale, le principe est que les lois spéciales excluent les lois générales dans les limites de leur domaine d'application ; que les lois spéciales sont d'interprétation stricte et leur domaine ne saurait être étendu à des situations voisines qui n'y sont pas expressément incluses ;
Considérant, en outre, que lorsque la loi spéciale est postérieure à la loi générale avec laquelle elle interfère, elle y déroge évidemment ;
Qu’en revanche, lorsque la loi nouvelle est plus générale que la loi spéciale préexistante, l’abrogation de la loi spéciale doit être explicite ; que dans le cas contraire la loi spéciale subsiste et l'emporte, dans son domaine strict, sur la loi générale plus récente ;
Considérant que, dans l’ordonnancement juridique, la loi N°98-004 du 11 février 1998, modifiée par la loi N° 2002-026 du 25 septembre 2002, modifiée par la loi N°2004-015 du 27 août 2004 portant code de la presse et de la communication est toujours en vigueur ; qu’elle est l’outil de travail, entre autres institutions, de laHaute Autorité de l’Audiovisuelle et de la Communication
(HAAC), chargée de garantir et d’assurer la liberté de la presse et la protection de la presse et des autres moyens de communication de masse tel que prévu par la Constitution; qu’elle demeure donc applicable;
En conséquence,
DECIDE :
Article 1er : La requête du président du tribunal de première instance de première classe de Lomé est recevable.
Article 2 : L’article 290 de la loi N° 2015-010 du 24 novembre 2015 portant nouveau code pénal, modifiée par la loi N° 2016-027 du 11 octobre 2016 est conforme à la Constitution.
Article 3 : La loi N°98-004 du 11 février 1998, modifiée par la loi N° 2002-026 du 25 septembre 2002, modifiée par la loi N°2004-015 du 27 août 2004 portant code de la presse et de la communication est toujours en vigueur.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au président du tribunal de première instance de première classe de Lomé et publiée au Journal officiel de la République togolaise.
Délibérée par la Cour en sa séance du 24 avril 2019 au cours de laquelle ont siégé : MM et madame les Juges Aboudou ASSOUMA, Président ; Maman-Sani ABOUDOUSALAMI, Mme AblanviMèwa HOHOUETO, Mipamb NAHM-TCHOUGLI, Arégba POLO, Koffi TAGBE et Koffi AHADZI-NONOU.
Suivent les signatures
POUR EXPEDITION CERTIFIEE CONFORME
Lomé, le 18 décembre 2019
Le Greffier en Chef
Me Mousbaou DJOBO
DECISION N°C-006/19 DU 24 AVRIL 2019