DECISION N°E-007/10 du 17 mars 2010

« AU NOM DU PEUPLE TOGOLAIS »

AFFAIRE : Saisine de Monsieur Yawovi AGBOYIBO , candidat du parti Comité d’Action pour le Renouveau (CAR)

LA COUR CONSTITUTIONNELLE,

Par requête en date du 08 mars 2010, déposée et enregistrée le même jour au greffe de la Cour constitutionnelle sous le n°014-G, Monsieur Yawovi AGBOYIBO, candidat à l’élection présidentielle du 04 mars 2010, investi par le Comité d’Action pour le Renouveau (CAR) demande à la Cour l’invalidation pure et simple du scrutin du 04 mars 2010, en ce que « le processus de la présidentielle du 04 mars 2010 est entaché de multiples irrégularités » ;

Vu la Constitution du 14 octobre 1992 ;

Vu la loi organique n° 2004-004 du 1er mars 2004 sur la Cour constitutionnelle ;

Vu le Règlement intérieur de la Cour, adopté le 26 janvier 2005 ;

Vu le Code électoral ;

Vu le décret n° 2010-019/PR du 11 février 2010 portant convocation du corps électoral à l’élection présidentielle du 04 mars 2010 modifiant le décret n°2009-300/PR du 30 décembre 2009 ;

Vu la décision n°E-003/10 du 1er février 2010 portant publication de la liste des candidats à l’élection présidentielle du 28 février 2010 ;

Vu la publication des résultats provisoires de l’élection présidentielle par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) le 06 mars 2010 ;

Vu les lettres du président de la Cour constitutionnelle en date du 10 mars 2010, demandant au candidat Gnassingbé Faure Essozimna et au président de la CENI de répondre aux allégations contenues dans la requête de Monsieur Yawovi AGBOYIBO, candidat à l’élection présidentielle du 04 mars 2010 ;

Vu le mémoire en réponse de Monsieur GNASSINGBE Faure Essozimna en date du 10 mars 2010, enregistré au greffe de la Cour le 11 mars 2010 ;

Vu le mémoire en réponse du président de la CENI en date du 11 mars 2010 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Les rapporteurs ayant été entendus ;

Considérant que Monsieur Yawovi AGBOYIBO, candidat à l’élection présidentielle du 04 mars 2010 sollicite l’annulation du scrutin en se fondant sur quatre moyens notamment ;

  • le soutien du candidat Faure GNASSINGBE par des associations en violation de l’article 93 du Code électoral … ;
  • la distribution des dons et libéralités … ;
  • l’implication des Préfets dans la campagne du candidat président au mépris du principe de leur neutralité politique et
  • l’absence d’authentification des bulletins de vote ;

Sur les moyens tirés du soutien au candidat Faure Gnassingbé par les associations en violation de l’article 93 du Code électoral, de la distribution des dons et libéralités et de l’implication des Préfets dans la campagne du candidat président au mépris du principe de leur neutralité politique

Considérant que, en ce qui concerne le soutien au candidat GNASSINGBE Faure Essozimna par les associations, le requérant allègue que  « Selon les termes de cet article : ‘’les associations et organisations non gouvernementales apolitiques … ne peuvent soutenir des candidats pendant la compagne électorale ‘’ » ;

Qu’en dépit de cette interdiction, « de nombreuses associations se sont largement substituées au RPT qui a investi le candidat président pour mener la campagne » ; que la Mission d’Observation de l’Union européenne a tenu à le souligner dans son rapport en ces termes « Le candidat-président s’est appuyé sur plusieurs groupes de soutien et associations qui ont milité pour sa réélection, en multipliant les événements culturels et en menant une campagne de porte-à-porte » ;

Qu’il en conclut que « l’impact de la campagne menée par les associations de soutien du candidat-président est indéniable et a gravement affecté le résultat d’ensemble du scrutin. » ;

Considérant, quant à la distribution des dons et libéralités, que le requérant note que « L’article 91.1 du Code électoral a formellement interdit, en matière électorale, les dons et libéralités en argent ou en nature à des fins de propagande pour influencer ou tenter d’influencer le vote » ;

Qu’il précise que malgré cette interdiction, et les Observateurs de l’Union européenne l’ont attesté, il a y eu des « distributions de riz à des prix trois à quatre fois inférieurs au prix du marché par des militants du RPT et connu sous le nom de ‘’ riz Faure ‘’ (préfectures de Kloto, Kpélé, Agou et Danyi) et par des membres de l’Administration publique (préfectures de Wawa, Akébou, Amou, Kozah et Binah) » ;

Qu’il en déduit que « de part leur ampleur, ces dons et libéralités ont eu sur le résultat d’ensemble du scrutin un effet tout aussi déterminant que celui des associations de soutien au candidat-président.» ;

Considérant enfin que, sur l’implication des Préfets dans la campagne du candidat GNASSINGBE Faure Essozimna au mépris du principe de leur neutralité politique, le requérant relève que « La Mission d’Observation déclare dans son rapport précité avoir noté ‘’l’attitude partisane de certains préfets dans l’exercice de leurs missions administratives dans plusieurs préfectures des régions Maritime, de la Kara et des Savanes’’ » ; qu’en conséquence, « eu égard à leur ascendance sur les administrés, les Préfets ont lourdement pesé sur le résultat final du scrutin.» ;

Considérant que par mémoire en réponse le candidat GNASSINGBE Faure Essozimna réplique sur les différents moyens ;

Considérant que, sur les allégations de soutien au candidat GNASSINGBE Faure Essozimna par des associations en violation de l’article 93 du Code électoral, celui-ci admet « qu’il est constant que le Code électoral dispose en son article 93 que : ‘’les associations et organisations non gouvernementales apolitiques … ne peuvent soutenir des candidats pendant la campagne électorale’’ » ;

Qu’il affirme cependant que la portée de l’article 93 du Code électoral  ne vise pas les candidats, mais plutôt les associations et ONG à qui il est fait interdiction de soutenir des candidats pendant la campagne électorale ; que « dans l’hypothèse même où ces faits seraient avérés, seule la responsabilité de ces associations devrait être mise en cause pour avoir éventuellement méconnu une disposition électorale qui leur interdit le soutien à des candidats et non celle des candidats » ;

Qu’en conséquence, cette situation « ne saurait être interprétée comme mettant en cause la crédibilité, la transparence ou la sincérité du vote en dehors de tout fait établi, avéré et quantifié, susceptible de fournir à la Cour des éléments concrets d’appréciation de son influence illégale sur le résultat du scrutin » ;

Qu’en outre, « ces associations et ONG ayant une personnalité morale distincte de celle du parti RPT et du candidat GNASSINGBE Faure Essozimna et pouvant dès lors agir de leur propre initiative et sans concertation avec qui que ce soit, les conséquences de leurs actions ne pourraient être imputées aux tiers que sont le parti RPT ou son candidat » ;

Considérant que, sur les allégations de distribution des dons et libéralités, le candidat GNASSINGBE Faure Essozimna fait observer que « ces allégations du requérant qui s’appuient sur un pseudo témoignage des observateurs de l’Union européenne …, ne donnent aucune indication précise sur l’identité des personnes présentées comme ‘’militants du RPT ‘’ qui distribueraient ce riz ; qu’ils n’indiquent pas non plus à quoi ils reconnaissent et distinguent des militants du RPT des militants des autres partis politiques, et des citoyens sans étiquette politique ; qu’ils ne donnent même pas un début de preuve de leurs allégations ni même l’état civil ou l’identité des soi-disant militants » ;

Qu’il soutient par ailleurs, que « s’il est de notoriété que du riz a été commandé et réceptionné au port de Lomé courant décembre 2009, ce riz a été réceptionné par l’Agence Nationale de la Sécurité Alimentaire du Togo (ANSAT) organisisme d’Etat chargé d’assurer la sécurité alimentaire et de juguler les crises alimentaires qui pourraient subvenir ; que le personnel de cet organisme est composé d’agents publics et de fonctionnaires ; que dans l’hypothèse où il serait même prouvé que des membres de l’Administration publique aient participé à la distribution de riz, il n’y a rien de suspect ou de surprenant que ces ‘’ membres de l’Administration publique ‘’ relevant du personnel de l’ANSAT aient participé aux activités normales de cette agence en accomplissant leurs tâches habituelles de fourniture et de distribution à des prix autres que ceux du marché des denrées alimentaires … » ;

Que, d’ailleurs, « le RPT, parti politique qui a investi le candidat GNASSINGBE Faure Essozimna, n’a jamais commandé de riz et ne s’est jamais mêlé à la distribution d’une quelconque denrée alimentaire ; que le RPT et son candidat, n’étant ni commerçants, ni distributeurs agrées de denrées alimentaires, ne sont naturellement pas non plus intéressés aux marques, labels et autres slogans publicitaires inscrits sur des denrées alimentaires et des appellations que les fabricants peuvent donner à leurs produits » ;

Considérant enfin que, sur les allégations de l’implication des Préfets dans la campagne du candidat-président au mépris du principe de leur neutralité politique, le candidat GNASSINGBE Faure Essozimna rétorque que « ces allégations n’indiquent pas non plus la nature des activités menées qui sont qualifiées de ‘’ partisanes’’ ou les comportements ou propos tenus qui seraient ‘’partisans’’ ; qu’il n’y a dans ces allégations aucune indication précise des actes posés, des circonstances de leur survenance, de l’impact sur le public et leur quantification… » ;

Considérant que les allégations relatives au soutien au candidat GNASSINGBE Faure Essozimna par les associations, à la distribution de dons et libéralités et l’implication des Préfets dans sa campagne au mépris du principe de leur neutralité politique, reposent toutes sur le rapport préliminaire de la Mission d’Observation de l’Union européenne ;

Que ledit rapport n’a aucune portée juridique ;

Considérant que le requérant lui-même n’a rapporté aucune preuve à l’appui de ses allégations, hormis le rapport préliminaire de l’Union européenne ;

Qu’en l’absence de preuves, lesdits moyens ne sont pas fondés ;

Sur l’absence d’authentification des bulletins de vote

Considérant que le requérant relève une fois encore que  la Mission d’Observation de l’Union européenne a fait ressortir dans son rapport préliminaire que « l’authentification du bulletin de vote est un ‘’garde-fou important’’ de nature à mettre le scrutin du 04 mars 2010 à l’abri de nombreuses fraudes qui ont émaillé les élections que le Togo a connues dans le passé » ;

Que la CENI s’était engagée « à sa séance plénière du 15 février 2010 d’authentifier les bulletins de vote » ;

Que, « pour s’être dérobée par la suite à cet engagement, la CENI a favorisé les nombreuses anomalies qui ont émaillé le scrutin notamment le surnombre de bulletins de vote trouvés dans les urnes par rapport aux votants, ainsi qu’en font foi à titre d’illustration les procès-verbaux du dépouillement des bureaux de vote numéro J et K du CEG Ablogamé dans le 3ème arrondissement de la Commune de Lomé » ;

Que le requérant en conclut que, « le défaut d’authentification des bulletins de vote a incontestablement affecté (…) le résultat d’ensemble du scrutin » ;

Considérant que, par mémoire en réponse en date du 11 mars 2010, le président de la CENI reconnait que celle-ci « avait convenu d’authentifier les bulletins de vote. Mais dans l’impossibilité de s’entendre sur un mode d’authentification, il a fallu s’en tenir au Code électoral (article 96) » ;

Considérant, en ce qui concerne l’authentification des bulletins de vote, que le Code électoral est muet sur la question ; que la décision prise par la CENI à sa séance plénière du 15 février 2010 constitue un acte interne à l’Institution et s’inscrit dans le cadre des missions qui lui sont dévolues ;

Qu’en conséquence, à défaut de s’entendre sur un mode d’authentification par dérogation, le droit commun s’impose ; qu’en outre, le requérant ne rapporte pas la preuve que l’absence d’authentification des bulletins de vote aient pu occasionner des irrégularités de nature à affecter le résultat d’ensemble du scrutin ;

Considérant, en tout état de cause, que Monsieur Yawovi AGBOYIBO, candidat à l’élection présidentielle, n’a pas rapporté de preuves suffisantes à l’appui de ses allégations nonobstant les deux procès-verbaux des bureaux de vote J et K de la Commission Electorale Locale Indépendante (CELI) du 3ème arrondissement de Lomé siégeant au centre de vote du collège d’enseignement général (CEG) d’Ablogamé ;

Que dès lors, sa requête doit être rejetée.

DECIDE

Article 1er : La requête de Monsieur Yawovi AGBOYIBO, candidat à l’élection présidentielle du 04 mars 2010, investi par le Comité d’Action pour le Renouveau (CAR), est rejetée.

Article 2: La présente décision sera notifiée à l’intéressé, au président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) et publiée au Journal officiel de la République togolaise.

Délibérée par la Cour en sa séance du 17 mars 2010 au cours de laquelle ont siégé : Mme et MM. Aboudou ASSOUMA, président, Mama-Sani ABOUDOU-SALAMI, Kouami AMADOS-DJOKO, Chef Améga Yao Adoboli GASSOU IV, Ablanvi Mèwa HOHOUETO, Mimpab NAHM-TCHOUGLI, Arégba POLO et Koffi TAGBE.

DECISION N°E-007/10 du 17 mars 2010

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