DECISION N° C-005/20 DU 25 NOVEMBRE 2020

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  • Dernière mise à jour 19 juin 2024

DECISION N° C-005/20 DU 25 NOVEMBRE 2020

AFFAIRE : Exception d’inconstitutionnalité : Ministère public et BIA-TOGO c/ Monsieur KOEZI Ankou, magistrat à la Cour d’Appel

DECISION N° C-005/20 DU 25 NOVEMBRE 2020

« AU NOM DU PEUPLE TOGOLAIS »
LA COUR CONSTITUTIONNELLE,
Par lettre en date du 09 novembre 2020, enregistrée au greffe de la Cour le 13 novembre 2020 sous le n° 040-G, le président de la chambre judiciaire de la Cour suprême, en application de l’article 104, alinéa 8 de la Constitution, demande à la Cour de se prononcer sur l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par Maîtres Edah N’DJELLE et Ahlin KOMLAN, conseils de Monsieur KOEZI Ankou, conseiller à la Cour d’appel de Lomé, dans l’affaire qui oppose ce dernier au Ministère public et BIA-TOGO ;

Vu la Constitution du 14 octobre 1992 en son article 104 ;
Vu la loi organique n° 2019-023 du 26 décembre 2019 sur la Cour constitutionnelle ;
Vu le Règlement intérieur de la Cour, adopté le 15 janvier 2020 ;
Vu la loi n° 83-1 du 2 mars 1983 instituant le code de procédure pénale ;
Vu l’ordonnance N° 022/2020/CC-P du 16 novembre 2020 du Président de la Cour portant désignation de rapporteur ;
Vu les pièces du dossier ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que dans l’affaire Ministère public et BIA-TOGO contre Monsieur KOEZI Ankou, Maîtres Edah N’DJELLE et Ahlin KOMLAN, conseils de Monsieur KOEZI Ankou, ont, dans leurs conclusions exceptionnelles en date du 29 octobre 2020, soulevé l’exception d’inconstitutionnalité et demandé à la Chambre judiciaire de la Cour suprême « de sursoir à statuer et saisir la Cour constitutionnelle afin qu’elle dise que les articles 443, 444 et 445 du titre VIII de la loi n° 83-1 du 2 mars 1983 instituant le code de procédure pénale ne sont pas conformes à la Constitution » ; que, par arrêt avant-dire- droit n° 137/20 du 29 octobre 2020, la Chambre judiciaire de la Cour suprême a sursi à statuer et a saisi, le 09 novembre 2020, la Cour constitutionnelle, conformément à l’article 104 de la Constitution ;
2. Considérant que l’article 104, alinéa 8 de la Constitution énonce expressément que : « Au cours d’une instance judiciaire, toute personne physique ou morale peut « in limine litis » devant les cours et tribunaux, soulever l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi. Dans ce cas, la juridiction sursoit à statuer et saisit la Cour Constitutionnelle » ; que l'exception d'inconstitutionnalité est donc la possibilité qu'a un justiciable, à l'occasion d'un procès devant les cours et tribunaux, d'invoquer qu'une disposition légale est non conforme à la Constitution et d’obliger cette juridiction à saisir la Cour constitutionnelle ;
Que la requête du président de la chambre judiciaire de la Cour suprême est recevable ;

3. Considérant que Maîtres Edah N’DJELLE et Ahlin KOMLAN, conseils de Monsieur KOEZI Ankou, au soutien de leurs allégations, invoquent dans leurs conclusions exceptionnelles à l’audience du 29 octobre 2020 le non-respect des principes d’égalité et d’équité qui sous-tendent les articles 11 et 19, alinéa 1 de la Constitution et qu’ils qualifient de «...normes supérieures...des valeurs constitutionnelles » ;
4. Considérant que l’article 11 de la Constitution dispose : « Tous les êtres humains sont égaux en dignité et en droit.
L'homme et la femme sont égaux devant la loi.
Nul ne peut être favorisé ou désavantagé en raison de son origine familiale, ethnique ou régionale, de sa situation économique ou sociale, de ses convictions politiques, religieuses, philosophiques ou autres. » ;
5. Considérant que le principe d’égalité suppose que des personnes se trouvant dans une situation identique ont droit à un traitement identique ; que le principe d’égalité veut que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière identique ; que dans sa décision N° C-003/09 du 09 juillet 2009, la Cour avait déjà affirmé que : « Le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un ou l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit » ; qu’il en résulte que les personnes relevant de la même catégorie doivent être soumises au même traitement sans discrimination ;
6. Considérant que les magistrats sont régis par un texte spécial en vertu duquel ils bénéficient de nombreuses dispositions dérogatoires au statut général de la fonction publique applicable aux autres fonctionnaires ; qu’ils ne se trouvent pas dans la même situation juridique que les autres personnes poursuivies pour crimes et délits ; qu’en l’espèce, il s’agit d’une procédure spéciale établie pour juger le corps des magistrats en cas de crimes et de délits ; qu’ainsi la rupture d’égalité qui résulterait des articles 443, 444 et 445 du titre VIII de la loi n° 83-1 du 2 mars 1983 instituant le code de procédure pénale ne saurait être retenue ;
7. Considérant, en outre, que les conseils de Monsieur KOEZI Ankou allèguent qu’au regard des articles 11 et 19, alinéa 1 de la Constitution, les articles 443, alinéa 3, 444 et 445 du code de procédure pénale ne sont pas conformes à la Constitution du fait qu’ils créent une rupture d’égalité entre les citoyens selon qu’ils sont magistrats ou non ; que le principe d’égalité et le principe de double degré de juridiction font défaut dès lors que les ordonnances du juge d’instruction et les arrêts de la chambre judiciaire de la Cour suprême ne sont susceptibles d’aucun recours ;
8. Considérant, d’une part, que l’article 19, alinéa 1 de la Constitution dispose : « Toute personne a droit en toute matière à ce que sa cause soit entendue et tranchée équitablement dans un délai raisonnable par une juridiction indépendante et impartiale » ;
9. Considérant, d’autre part, que les articles 443, alinéa 3 (au lieu de article 443, alinéa 4 comme cité par les conseils de Monsieur KOEZI Ankou), 444 et 445 de la loi n° 83-1 du 2 mars 1983 instituant le code de procédure pénale qui disposent respectivement que :
« L’instruction est diligentée conformément aux dispositions du livre premier du présent code sous réserve que les ordonnances prises ne sont susceptibles d’aucune voie de recours »,
« Lorsque l’instruction est terminée, le magistrat instructeur rend après réquisition du Procureur général une ordonnance de renvoi devant la chambre judiciaire ou une ordonnance de non-lieu. » ;
« L’arrêt rendu n’est susceptible d’aucune voie de recours », créent une rupture d’égalité entre les citoyens selon qu’ils sont magistrats ou non ;
10. Considérant que le principe du double degré de juridiction voudrait qu'une décision de justice soit portée devant une instance autre qui lui est supérieure, en vue d'affirmer ou d'infirmer la première décision ; que cela implique que les personnes qui sont parties à un procès peuvent déférer la décision dont ils estiment qu'elle leur fait grief ou qui n'est pas légalement justifiée devant une juridiction d'un degré plus élevé ; que, cependant, dans certains types de litiges, la loi peut prévoir qu’une juridiction rende une décision en premier et dernier ressort ; que le jugement alors rendu n’est pas susceptible d’appel comme c’est le cas pour de nombreux recours en excès de pouvoir où des décisions sont rendues en premier et dernier ressort ;
Qu’on ne peut, en conséquence, pas déclarer non conformes à la Constitution les articles sus-visés, contenus dans le titre III du code de procédure pénale sur les crimes et délits commis par les magistrats, certains fonctionnaires et autorités coutumières au profit du droit commun sans commettre une discrimination ; que l’argument tiré de l’existence d’un projet d’article 886 d’un avant-projet de code de procédure pénale qui prévoirait que, désormais, les magistrats seraient jugés selon le droit commun, texte qui ne fait pas encore partie de l’ordonnancement juridique national, ne saurait être accueilli ;
11. Considérant que, de tout ce qui précède, il convient de déclarer les articles 443, alinéa 3, 444 et 445 du code de procédure pénale, dérogatoires au droit commun, conformes à la Constitution ;

En conséquence ;

DECIDE :

Article 1er : La requête du président de la Chambre judiciaire de la Cour suprême est recevable.

Article 2 :Les articles 443, alinéa 3, 444 et 445 du code de procédure pénale sont conformes à la Constitution ;
Article 3 : La présente décision sera notifiée au président de la Chambre judiciaire de la Cour suprême et publiée au Journal officiel de la République togolaise.

Délibérée par la Cour en sa séance du 25 novembre 2020 au cours de laquelle ont siégé : MM les Juges Aboudou ASSOUMA, Président ; Kouami AMADOS-DJOKO, Mipamb NAHM-TCHOUGLI, Koffi Jérôme AMEKOUDI, Djobo-Babakane COULIBALEY, Palouki MASSINA et Pawélé SOGOYOU.

Ont signé :

Aboudou ASSOUMA

Kouami AMADOS-DJOKO Mipamb NAHM-TCHOUGLI

Koffi Jérôme AMEKOUDI Djobo-Babakane COULIBALEY

Palouki MASSINA Pawélé SOGOYOU

DECISION N° C-005/20 DU 25 NOVEMBRE 2020

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