DECISION N°C-003/20 DU 13 MAI 2020

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  • Dernière mise à jour 20 juin 2024

DECISION N°C-003/20 DU 13 MAI 2020

AFFAIRE : Exception d’inconstitutionnalité 
Maître AKAKPO AssignonKokouda
C/
Ordre des Avocats du Togo 
DECISION N°C-003/20 DU 13 MAI 2020
« AU NOM DU PEUPLE TOGOLAIS »
LA COUR CONSTITUTIONNELLE,
Par lettre en date du 14 avril  2020, enregistrée au greffe de la Cour le 20 avril 2020 sous le n° 031-G, le président de la Cour d’appel de Lomé, en application de l’article 104, alinéa 8 de la Constitution, demande à la Cour de se prononcer sur l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par Maître AFANGBEDJI Jil-BénoitKossi, conseil de Maître AKAKPO Assignon Kokouda, dans l’affaire qui oppose ce dernier à l’Ordre des Avocats du Togo suite au rejet  de sa demande d’inscription au barreau des Avocats au motif que l’arrêté N° 003/2019/CO du 20 septembre 2019 du Conseil de l’Ordre des Avocats du Togo viole le principe d’égalité ;
Vu la Constitution du 14 octobre 1992 en son article 104 ;
Vu la loi organique n° 2019-023 du 26 décembre 2019 sur la Cour constitutionnelle ;
Vu le Règlement intérieur de la Cour, adopté le 15 janvier 2020 ;
Vu l’ordonnance N° 017/2020/CC-P du 20 avril 2020 du Président de la Cour portant  désignation de rapporteur ;
Vu les pièces du dossier ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que l’article 104, alinéa 8 de la Constitution énonce expressément que : « Au cours d’une instance judiciaire, toute personne physique ou morale peut « in limine litis » devant les cours et tribunaux, soulever l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi. Dans ce cas, la juridiction sursoit à statuer et saisit la Cour Constitutionnelle » ;
2. Considérant que l’exception d’inconstitutionnalité est la possibilité pour un justiciable, à l'occasion d'un procès devant une  juridiction, d'invoquer la non-conformité à la Constitution d'une disposition légale ;
3. Considérant qu’aux termes de l’article 21 alinéas 1 et 2 du Règlement N°005/2014/CM/UEMOA relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’Avocat dans l’espace UEMOA du 25 septembre 2014 «  le recours contre les décisions du Conseil de l’Ordre et du Conseil de discipline sont dévolus à une juridiction d’appel paritaire composée du 1er président de la Cour d’appel, de trois (03) présidents de chambre de la Cour d’appel et de trois (03) avocats, autres  que les membres du conseils de l’Ordre, désignés par le Bâtonnier ;
Que la requête du président de la Cour d’appel de Lomé est recevable ;
4. Considérant que dans l’affaire Maître AKAKPO Assignon Kokouda contre l’Ordre des Avocats du Togo, Maître AFANGBEDJI Jil-Bénoit Kossi, conseil de  ce dernier a, dans ses conclusions exceptionnelles en date du 05 novembre 2019, soulevé l’exception d’inconstitutionnalité et demandé à la Cour d’Appel de Lomé « de reconnaître le bien-fondé de son recours et de faire constater principalement par la Cour constitutionnelle in limine litis :
- L’inconstitutionnalité de l’article 19 point 5 du Décret N° 80-30 du 07 mars 1980 pris pour l’application de l’Ordonnance N° 80-11 du 09 janvier 1980 relative à l’exercice de la profession d’Avocat pour violation des articles 2 alinéa 1 et 11,  alinéa 3 de la Constitution du 14 octobre 1992, 3 alinéa 1 de la Charte Africaine des Droits de l’homme et des Peuples, 7 de la Déclaration Universelle des Droits l’Homme et 26 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques.
- L’inconstitutionnalité de l’arrêté N° 003/2019/CO du 20 septembre 2019 du Conseil de l’Ordre des Avocats du Togo portant refus de la demande d’inscription du  requérant au Tableau de l’Ordre des Avocats du Togo pour violation des articles 2 alinéa 1 et 11 alinéa 3 de la Constitution du 14 octobre 1992, 3 alinéa 1 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et 26 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques ».
5. Considérant que Maître AFANGBEDJI Jil- Benoît Kossi  relève dans ses conclusions à l’audience du 16 janvier 2020, au soutien de son recours : « qu’il n’est pas concevable que des actes administratifs règlementaires et individuels contraires à l’Etat de droit ne puissent pas être sanctionnés lorsqu’une inconstitutionnalité en est la cause » ;
Que l’arrêté déféré est entaché d’une violation grave des principes d’égalité des citoyens et de non-discrimination garantis par les articles 2 alinéa 1 et 11 alinéa 3 de la Constitution du 14 octobre 1992 ainsi que d’autres textes internationaux ayant valeur constitutionnelle ;
Que conformément au principe de primauté du droit communautaire sur les normes internes, la réglementation de l’accès et de l’exercice de la profession d’Avocat dans l’espace UEMOA est une compétence exclusive de l’UEMOA de sorte que les dispositions du décret N° 80-37 du 07 mars 1980 pris pour l’application de l’Ordonnance N° 80-11 du 09 janvier 1980 relative à l’exercice de la profession d’Avocat dont se prévaut le Conseil de l’Ordre des Avocats du Togo pour refuser au requérant son admission au tableau de l’Ordre des Avocats du Togo n’ont d’application possible que si elles ne sont pas contraires aux dispositions du Règlement N° 005/2014/CM/UEMOA relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’Avocat dans l’espace UEMOA du 25 septembre 2014 ;
Que  la théorie des droits reposant sur une dimension spatiale et temporelle, le fait qu’une situation ait été légalement et entièrement constituée à l’étranger, justifie la reconnaissance de ce droit comme étant acquis » ;
6. Considérant que le litige opposant Maître AKAKPO Kokouda à l’Ordre des Avocats du Togo repose principalement sur le Règlement N° 005/2014/CM/UEMOA relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’Avocat dans l’espace UEMOA du 25 septembre 2014 ;
7. Considérant que le Règlement, de nature essentiellement normative, a une portée impersonnelle et générale,  obligatoire dans tous ses éléments et  est directement applicable dans tout Etat membre ; qu’il est l’acte le plus complet, le plus supranational et le plus efficace dans la panoplie des actes juridiques des  institutions d’intégration économique régionale ;
Qu’il  crée un même droit dans tout l’ordre juridique communautaire sans tenir compte des frontières, en étant valable uniformément et intégralement dans tous les Etats membres ; qu’ainsi, il est interdit aux Etats membres d’appliquer de manière incomplète les dispositions d’un Règlement ou de procéder à une sélection parmi celles-ci ;
Que son applicabilité directe dans tous les Etats membres signifie que, sans nécessité d’aucune mesure portant réception dans le droit national, il a une validité automatique dans l’ordre juridique concerné et comme tel s’adresse non pas à des destinataires limités, désignés ou identifiables, mais à des catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite et confère des droits et/ou impose des obligations aux Etats membres, à leurs organes et aux particuliers, comme le fait la loi nationale ;
8. Considérant que dans l’ordre juridique des Etats membres d’une organisation d’intégration économique régionale, le Règlement est supérieur aux lois ordinaires et aux autres dispositions nationales infra-législatives ; que le Règlement est en dessous de la Constitution et, de manière générale, à l’ensemble du bloc de constitutionnalité et des traités; qu’il en résulte que  les dispositions nationales contraires se situant dans le champ du Règlement sont de droit abrogées à l’exception des droits fondamentaux remis en cause par ledit Règlement;
Qu’en conséquence, toute institution d’un Etat membre d’une organisation d’intégration économique régionale a l’obligation d’appliquer intégralement le Règlement communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère directement aux particuliers, en laissant inappliquée toute disposition de la législation nationale éventuellement  contraire ;
9. Considérant que les Règlements prévus aux articles 42 et 43 du Traité de l’UEMOA ont une portée impersonnelle et générale ; qu’ils sont obligatoires dans tous leurs éléments et sont directement applicables dans tout Etat membre ; que les dispositions nationales contraires se situant dans le champ d’application desdits Règlements sont automatiquement abrogées ;
10. Considérant que l’article 24, alinéa 3 du Règlement N° 005/2014/CM/UEMOA relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’Avocat dans l’espace UEMOA du 25 septembre 2014 dispose que : « Toute personne titulaire d’un Master II en droit reconnu par le Conseil Africain et Malgache de l’Enseignement Supérieur (CAMES) ou de la Maîtrise en droit ou d’un diplôme reconnu équivalent et du Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat (C.A.P.A.) reconnu dans l’espace UEMOA, peut demander son inscription sur la liste de stage d’un Barreau dudit espace.
Toute personne qui demande son admission au stage du Barreau doit être âgée de 21 ans au moins.
Elle doit être de bonne moralité.
Elle est, en outre, tenue de fournir au Conseil de l’Ordre:
1) un extrait de son acte de naissance;
2) un extrait de son casier judiciaire datant de moins de trois mois;
3) les pièces établissant qu’elle possède la nationalité d’un Etat membre de l’Union;
4) le diplôme de Master II en droit reconnu par le Conseil Africain et Malgache de l’Enseignement Supérieur (CAMES) ou de la Maîtrise en droit ou d’un diplôme reconnu équivalent ;
5) le Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat (C.A.P.A.) ;
6) l’attestation délivrée par un Avocat inscrit au tableau ayant prêté serment depuis au moins sept (7) ans portant engagement d’assurer dans son cabinet la formation effective du stagiaire.
Toutefois, sont dispensés du Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat (CAPA) :
1) les magistrats ayant accompli au moins dix (10) années de pratique professionnelle en juridiction et qui auront préalablement démissionné de leur fonction ;
2) les professeurs agrégés des facultés de droit. » ;
Qu’en outre,  l’article 30 complète  l’article 24, alinéa 3 dudit Règlement en ces termes : « Nul ne peut être inscrit au Tableau de l’Ordre des Avocats, sous réserve des droits acquis, s’il ne remplit l’ensemble des conditions suivantes :
- être ressortissant d’un Etat membre de l’Union ;
- être âgé de 24 ans au moins ;
- être en possession du certificat de fin de stage ;
- être de bonne moralité » ;
Que lesdites dispositions établissent  les conditions d’inscription  au tableau de l’Ordre des Avocats dans l’espace UEMOA ;
Que les seules exceptions audit Règlement sont les accords de coopération judiciaire entre le Togo et d’autres pays hors zone UEMOA ;
11. Considérant que le Règlement N° 005/2014/CM/UEMOA relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’Avocat dans l’espace UEMOA du 25 septembre 2014 se situe dans l’ordonnancement juridique togolais au-dessus de l’Ordonnance N° 80-11 du 09 janvier 1980 relative à l’exercice de la profession d’Avocat et du Décret N° 80-30 du 07 mars 1980 pris pour son application ; que les dispositions de ces deux textes contraires audit Règlement sont de droit abrogées ;
12. Considérant que ledit Règlement N° 005/2014/CM/UEMOA,  selon ses motivations, a pour objet de renforcer « davantage l’indépendance de la justice dans ces pays» ;  que dans le cadre de la liberté de circulation des services instituée par le traité de l’UEMOA, la réalisation des objectifs communautaires, notamment la libre circulation des personnes et le droit d’établissement des personnes exerçant des professions libérales, nécessite, entre autres, la faculté pour les Avocats d’exercer librement leur profession au sein de l’espace communautaire ; que l’harmonisation des règles d’accès à ladite profession établit une égalité de traitement entre les postulants à la  profession d’Avocat tant au plan nationale qu’au plan de l’espace UEMOA;
13. Considérant que l’article 2, alinéa 1 de la Constitution du 14 octobre 1992  dispose que : « La République Togolaise assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race, de sexe, de condition sociale ou de religion. » ; que l’article 11 alinéa 3 de la Constitution du 14 octobre 1992 énonce aussi que « Nul ne peut être favorisé ou désavantagé en raison de son origine familiale, ethnique ou régionale, de sa situation économique ou sociale, de ses convictions politiques, religieuses, philosophiques ou autres.» ; que lesdites dispositions de la Constitution du 14 octobre 1992 sont reprises sous d’autres formulations par l’article 3 alinéa 1 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et l’article 26 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques ; que toutes ces dispositions consacrent le principe d’égalité des citoyens devant la loi ;
14. Considérant que le principe d’égalité veut  que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes  ne soient pas traitées de manière égale ; que dans sa décision N°C-003/09 du 09 juillet 2009,  la Cour avait déjà affirmé que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un ou l’autre cas la différence de traitement  qui en résulte  soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit » ; qu’il en résulte que les personnes relevant de la même catégorie doivent être soumises au même traitement, sans discrimination ;
Qu’il ne saurait y avoir de discrimination entre un candidat à  l’inscription au tableau de l’Ordre des Avocats du Togo sous le couvert d’un accord judiciaire et un candidat à  l’inscription au même   tableau qui ne peut invoquer ni le Règlement de l’UEMOA ni un accord judiciaire ;
Que l’inexistence  d’un accord judiciaire ne peut être couvert par un droit acquis dans un pays autre que les pays concernés ;
Que le Règlement N° 005/2014/CM/UEMOA relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’Avocat dans l’espace UEMOA du 25 septembre 2014  ne saurait à cet égard  être regardé comme pris en violation des articles 2 alinéa 1 et 11 alinéa 3 de la Constitution du 14 octobre 1992,  de l’article 3 alinéa 1 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et de l’article 26 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques ;
15. Considérant que l’arrêté N° 003/2019/CO du 20 septembre 2019 du Conseil de l’Ordre des Avocats du Togo portant refus d’inscription du  requérant au Tableau de l’Ordre des Avocats du Togo est pris en application du Règlement N°005/2017/CM/UEMOA relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’Avocat dans l’espace UEMOA du 25 septembre 2014 ;
En conséquence ;
DECIDE :
Article 1er : La requête du président de la Cour d’Appel de Lomé est recevable.
Article 2 : Le Règlement N° 005/2014/CM/UEMOA relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’Avocat dans l’espace UEMOA du 25 septembre 2014 est conforme à la Constitution.
Article 3 : L’arrêté N° 003/2019/CO du 20 septembre 2019 du Conseil de l’Ordre des Avocats du Togo pris en application du Règlement N° 005/2014/CM/UEMOA relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’Avocat dans l’espace UEMOA du 25 septembre 2014 en est conforme.
Article 4 : Les dispositions de l’Ordonnance N° 80-11 du 09 janvier 1980 relative à l’exercice de la profession d’Avocat et du Décret N° 80-30 du 07 mars 1980 contraires au Règlement N° 005/2017/CM/UEMOA relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’Avocat dans l’espace UEMOA du 25 septembre 2014 sont de droit abrogées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au président de la Cour d’appel de Lomé et publiée au Journal officiel de la République togolaise.
Délibérée par la Cour en sa séance du 13 mai 2020 au cours de laquelle ont siégé : MM les Juges Aboudou ASSOUMA, Président ; Kouami AMADOS-DJOKO, Mipamb NAHM-TCHOUGLI,  Koffi Jérôme AMEKOUDI,   Djobo-Babakane COULIBALEY,  Palouki MASSINA et Pawélé SOGOYOU.
Suivent les signatures
POUR EXPEDITION CERTIFIEE CONFORME
Lomé, le 22 mai 2020
Le Greffier en Chef
Me Mousbaou DJOBO
DECISION N°C-003/20 DU 13 MAI 2020

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